Biking USA

Et si le CADR 67 décidait… de sortir du cadre justement ? Si l’herbe est toujours plus verte ailleurs, qu’en est-il de la pratique de la petite reine de l’autre côté de nos frontières ? Je vous propose de quitter notre douce France, le temps de quelques articles, pour partir à la rencontre de cyclistes, aux quatre coins du monde, qui ont accepté de nous faire partager un petit bout de leur histoire et quelques bonnes pratiques (ou non !) à ramener dans nos valises.

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Notre tour du monde du vélo débute par une destination qui est loin d’être le paradis rêvé des cyclistes. Là-bas, on est plutôt du genre 4×4, Monster Truck, grosses cylindrées… mais aussi vélos partagés ! Sortez votre Stetson et vos lunettes de soleil, nous partons pour San Diego, en Californie, à deux pas de la frontière mexicaine.

16h heure française – 8h du matin heure de San Diego : autant vous dire que Greg est un peu ronchon lorsque je l’appelle ce dimanche… Heureusement, il retrouve vite sa bonne humeur et son mordant habituels, tout fier d’être interviewé sur un « french website » pour parler vélo et mobilité.

Repenser l’espace du quotidien

Greg est originaire d’Atlanta en Géorgie. Lorsqu’il intègre l’University of Georgia, à une trentaine de kilomètres de sa ville natale, il choisit la filière architecture du paysage. Greg m’avouera un jour, pas très fier, qu’il envisageait à l’époque de devenir concepteur de terrains de golf. « Ce que je pouvais être à côté de la plaque… », me dira-t-il.

Pendant ses études, Greg découvre l’architecture, l’urbanisme et l’aménagement du territoire. Il mesure alors avec effarement les conséquences désastreuses de l’étalement urbain et du tout-voiture. Penser l’espace, voilà ce dont Greg a envie. Mais certainement pas celui des terrains de golf : l’espace du quotidien, où la voiture semble avoir pris toute la place, au détriment des habitants…

A l’issue de son Bachelor, Greg travaille pendant plusieurs mois à Pékin dans un cabinet d’architecture et d’urbanisme, avant de rentrer à Atlanta où il décroche un poste d’ingénieur projet. Mais Greg sent bien qu’un aménagement cohérent du territoire nécessite une réflexion sur la mobilité. Il décide alors de reprendre ses études et intègre un Master sur les systèmes de transport, à Munich en Allemagne. Son diplôme en poche, Greg retourne aux États-Unis, où il travaille depuis maintenant un an et demi comme consultant en mobilité.

Un Américain à vélo

Greg devait avoir six ou sept ans lorsqu’il a appris à faire du vélo avec ses parents. Il se rappelle de la route sablée sur laquelle il a commencé à pédaler, à deux pas de sa maison de vacances en Floride, où sa famille se rendait tous les étés. Selon lui : « C’était plus facile d’apprendre ici qu’à la maison : les routes de Floride sont plus plates qu’en Géorgie. » Durant son enfance, Greg fait du vélo régulièrement, mais les balades se limitent aux environs de son quartier.

Lorsqu’il devient étudiant, Greg utilise très souvent le vélo pour se déplacer sur le campus de l’University of Georgia. Il s’agit d’une zone urbaine dense et compacte, où il est commode de circuler à vélo. Pour autant, les cyclistes se font plutôt rares et la quasi-totalité des étudiants possède une voiture. « Comment emmener une fille en sortie si tu n’as pas de 4×4 ? » – ironise Greg avec malice.

Ce dernier garde un souvenir mémorable de ses années d’études à Munich, où il s’est mis à pratiquer le vélo de manière quotidienne. Il se souvient notamment d’une expédition vélo avec un ami allemand, au cours de laquelle ils sont allés de Munich à Venise, en passant par les montagnes suisses – en une semaine. Autant vous dire que les deux compères sont plutôt du genre sportif.

Depuis qu’il travaille à San Diego, Greg a réussi l’exploit de ne pas posséder de voiture. Il se déplace principalement à pied, à vélo ou en Uber – « très bon marché en Californie », selon ses dires. Il faut toutefois préciser que Greg habite tout près de son travail, sans quoi, il avoue que vivre sans voiture relèverait du parcours du combattant. Il explique : « Tous les matins, j’ai une vue imprenable sur l’océan pacifique en passant par le pont de First Street. C’est mon petit bonheur quotidien. »

Comme Greg ne se rend pas au travail en voiture, il bénéficie d’une indemnité financière de la part de son entreprise : le parking cash-out. Il s’agit d’une mesure peu connue en France, mais qui commence à faire son chemin dans les pays anglo-saxons. Depuis 1992, l’état de Californie a instauré le Parking Cash-Out Program : les entreprises de plus de 50 salariés qui subventionnent des places de parking pour leurs employés sont tenues de verser une compensation financière à ceux qui se rendent au travail par un autre mode de transport que la voiture. Voilà une mesure pleine de sens pour les employés comme pour les employeurs, aussi bien d’un point de vue écologique que financier – quand on sait le coût que représente la location des places de parking dans le budget des entreprises.

Plusieurs collègues de Greg se rendent également au travail à pied ou à vélo, mais la grande majorité utilise la voiture. A San Diego, comme dans la plupart des villes américaines, la pratique du vélo est encore timide.

Biking USA ?

Greg est nostalgique de ses années passées à Munich, la capitale allemande du vélo. Il se montre  critique vis-à-vis des systèmes de transport aux États-Unis, à commencer par l’absence d’infrastructures pour les piétons et les cyclistes : « Bien souvent, il n’y a pas de piste cyclable ou alors celle-ci se trouve juste à côté d’une autoroute ! Il n’y a rien de plus stressant pour les cyclistes…  San Diego dispose d’un réseau de pistes cyclables plutôt honorable, mais elles sont souvent déconnectées les unes des autres. » Greg ajoute : « Un autre problème, c’est que les automobilistes n’ont pas l’habitude de partager la route avec des vélos : il y a donc beaucoup d’accidents. Il y aurait de vrais progrès à faire en terme de prévention routière. »

Une des clefs du problème, c’est que le vélo n’est pas considéré comme un moyen de transport à part entière. Selon Greg, la pratique du vélo est surtout cantonnée au sport et aux loisirs : « A San Diego, par exemple, beaucoup de gens font du vélo le long de la côte pacifique le week-end. Par contre, peu de personnes utilisent le vélo pour se rendre au travail… »

Greg déplore également le cruel manque de liaisons de transport public entre les différents États : « Les gens n’ont pas vraiment le choix, c’est soit la voiture, soit l’avion. Et ce n’est pas comme en Europe, où vous pouvez vous rendre de Berlin à Madrid à bon prix avec une compagnie low-cost. Aux États-Unis, les vols entre États sont hors de prix. » Pourtant, Greg tient à souligner l’efficacité des liaisons ferroviaires dans le sud de la Californie : « Rien ne vaut un trajet en train de San Diego à Los Angeles, en longeant la côte pacifique. »

Greg pense que les mentalités américaines commencent à évoluer – mais lentement. Au niveau du gouvernement, il faut avouer que ce n’est pas très brillant… Trump a annoncé en juin 2017 que les États-Unis se retiraient de l’accord de Paris sur le climat et il devrait bientôt dévoiler son grand projet de loi sur les infrastructures. La presse américaine fustige d’ores et déjà ce projet pharaonique : sa faisabilité financière, d’une part, mais aussi ses impacts désastreux pour l’environnement. « Des routes, des routes, des routes ! – s’indigne Greg – voilà la seule réponse que le gouvernement envisage pour résoudre les problèmes de mobilité aux États-Unis. C’est une vision simpliste et dangereuse… »

Alors bien sûr, les associations se mobilisent à l’échelle nationale, à l’instar de The League of American Bicylists, mais elles font difficilement le poids face aux géants de l’industrie automobile américaine. Par ailleurs, coordonner des actions en faveur du vélo à l’échelle nationale est un véritable casse-tête aux États-Unis : non seulement d’un point de vue géographique – n’oublions pas que l’État du Texas, à lui seul, fait déjà la superficie de la France – mais aussi législatif, chaque État ayant sa propre réglementation cyclable.

Certains États commencent néanmoins à comprendre que construire plus de routes n’est pas la solution. Comme l’explique Greg, la Californie a récemment adopté la Senate bill 743 : les projets de transport ne seront désormais plus évalués en fonction de leur Level of Service (comprenez la capacité des infrastructures à accueillir plus de voitures) mais du Vehicle miles travel, c’est-à-dire le nombre de miles parcourus par les véhicules, qui doit être aussi limité que possible.

C’est finalement au niveau des villes que l’on constate les changements les plus notables, comme en témoigne le récent succès des systèmes de vélos partagés – avec New York, Chicago et Washington en tête de peloton. Qu’en est-il de San Diego ? Greg se montre sceptique : « C’est vrai que la ville dispose d’un système de vélos partagés. Je l’ai utilisé à plusieurs reprises, mais le système n’est pas encore optimal. Il y a eu pas mal de problèmes de cartes magnétiques qui ne fonctionnent pas et de vélos que les gens n’arrivent pas à débloquer des stations. » La presse locale confirme les impressions négatives de Greg : le service de vélos partagés ne suscite pas l’engouement chez les habitants de San Diego. La faute à qui ? Au manque d’infrastructures cyclables, à la topographie montagneuse de la ville ou encore au mauvais design du système qui concentre les stations le long des docks, en centre-ville, au détriment des banlieues. Qui sait… Côté vélo, San Diego a encore du chemin à parcourir. Cependant, la ville a récemment adopté son plan de déplacement qui inclut la construction de près de 15 km de pistes cyclables protégées dans le centre-ville. Un petit pas pour San Diego et un petit pas pour le vélo !

Sans aborder l’épineuse question de la mobilité dans les zones rurales, les États-Unis auraient tout intérêt à promouvoir la marche à pied et le vélo dans les villes. Question d’embouteillages, d’environnement, mais aussi de santé publique – dans un pays où le taux d’obésité est de loin le plus élevé au monde, ainsi que le diabète, les maladies cardio-vasculaires et d’autres affections liées au surpoids. Pour cela, il est nécessaire de repenser l’environnement urbain – l’emplacement des rues, des bâtiments etc. – car les Américains ne se mettront pas au vélo s’ils n’ont pas de commerce de qualité à proximité ou s’ils ne peuvent pas circuler en toute sécurité.

Une question d’espace, encore et toujours.

—– Thanks Greg for sharing your bicyclist’s experience with me !

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Pour en savoir plus :

Une réflexion sur “ Biking USA ”

  • 19 février 2018 à 20 h 52 min
    Permalink

    Très intéressant, notamment le système du « parking cash-out ».

    Il se trouve que j’ai récemment écrit un billet sur le vélo à La Nouvelle-Orléans à l’occasion du jumelage de cette grand ville de Louisiane avec ma bonne ville d’Orléans : http://jeanneavelo.fr/2018/02/08/la-nouvelle-orleans-a-construit-une-passerelle/ (le titre est une allusion au débat orléanais sur l’éventuelle construction d’une passerelle pour franchir la Loire, véritable serpent de mer, ou de fleuve, depuis des décennies)

    Réponse

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