L’inspecteur à vélo

L’inspecteur à vélo

Entre deux étapes de notre tour du monde du vélo, l’équipe du CADR 67 vous propose de découvrir les multiples facettes des pratiques cyclables dans l’Eurométropole de Strasbourg. Une galerie de portraits qui fait écho à notre slogan « le vélo comme on l’aime » : des mordus du vélo, aux cyclistes du dimanche, en passant par les compétiteurs hors pair du challenge Au Boulot à Vélo

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Je retrouve Martin dans un café à deux pas de l’Université de Strasbourg. Il m’accueille, tout sourire, un casque de vélo bien en évidence à côté de sa tasse de thé. Strasbourgeois d’origine, Martin est inspecteur… de l’éducation nationale ! Depuis une dizaine d’années maintenant, il inspecte, évalue et conseille les enseignants de lettres et d’histoire en lycée professionnel dans l’académie de Strasbourg. Et tout ça : à vélo bien sûr ! Rencontre avec celui qui se surnomme lui-même « l’inspecteur à vélo ».

Le quotidien d’un « cyclo-boulot-dodo »

Fervent adepte de la petite reine, Martin utilise le vélo de façon quasi quotidienne pour ses déplacements : « J’effectue la plupart de mes trajets à vélo, que ce soit pour me déplacer dans Strasbourg ou pour aller inspecter, principalement dans le département du Bas-Rhin. Bien souvent, les lycées se situent à proximité d’une gare : j’ai donc la chance de pouvoir utiliser très peu la voiture et d’associer l’usage du vélo à celui des trains régionaux. Pour aller à Haguenau et Saverne, j’embarque systématiquement mon vélo dans le train ; pour me rendre à Bischwiller, Sarre-Union et Wissembourg qui sont moins bien desservies, j’ai plutôt tendance à utiliser la voiture. Quand je vais à Sélestat, c’est plus problématique car les vélos sont interdits dans les trains sur la ligne Strasbourg-Mulhouse pendant les heures de pointe… »

Parmi ses collègues, Martin est l’un des rares à utiliser le vélo pour ses déplacements professionnels : « Je suis connu pour être « l’inspecteur à vélo ». Dans les bahuts aussi, les gens le savent ! J’ai croisé des collègues inspecteurs dans le bus, dans le train, et il y en a beaucoup qui viennent en voiture. Par contre, je n’ai pas souvenir d’en avoir vus à vélo. C’est peut-être parce qu’ils n’habitent pas à Strasbourg. Il faut avouer que c’est un métier où l’on doit être mobile : l’option voiture reste bien pratique. »

Cycliste un jour… cycliste toujours !

Mais alors, pourquoi le vélo ? La réponse est simple : « Parce que j’en ai toujours fait ! Quand j’étais petit, mes parents ont déménagé et, comme je voulais rester dans mon collège, j’ai dû y aller à vélo. A l’époque, je n’ai même pas envisagé de prendre le bus. Mes parents étaient assez sympas pour me laisser y aller à vélo, alors j’en ai profité ! En y repensant, j’ai fait du vélo toute ma vie, sauf pendant mes quelques années d’études où j’habitais dans le quartier de la Krutenau, à deux pas de l’université, et où je me déplaçais à pied. »

Martin en profite pour glisser une anecdote sur ses jeunes années de cycliste : « Mon plus lointain souvenir de vélo, c’est un souvenir d’école buissonnière – ce qui est peu banal pour un inspecteur de l’éducation nationale ! J’avais été détourné de l’école maternelle par un copain et nous faisions alternativement des tours avec mon vélo. A un moment, il a ramené mon vélo et puis il est reparti, je n’ai pas très bien compris pourquoi. Et à ce moment-là, mon père est arrivé… »

Au-delà des habitudes, Martin souligne les côtés pratiques du vélo et du train par rapport à la voiture : « En vélo, je sais exactement le temps qu’il me faut, à la minute près – sauf si je traîne. En train, j’estime aussi très bien le temps de mes trajets, quitte à compter large. Lorsque j’arrive en avance, j’en profite pour travailler près de la gare. Depuis que j’inspecte, je suis devenu un connaisseur hors pair des salons de thé d’Alsace ! »

Et qu’en est-il de ses proches ? « Comme nous vivions un peu excentrés, ma fille a toujours roulé à vélo. Nous avions un peu les pétoches, mais ça ne lui a jamais posé de problèmes. Maintenant qu’elle est adulte, elle fait toujours beaucoup de vélo. Elle a d’ailleurs mis longtemps avant de passer son permis. Maintenant, si elle a le choix entre le vélo et la voiture, je pense qu’elle prendrait le vélo. Ma chère et tendre a des crises de paresse qui font qu’elle préfère prendre la voiture, plutôt que le vélo. C’est fort déplaisant de devoir l’accompagner avec mon casque, alors qu’elle n’en a pas. Pour me réconforter, j’essaie de me dire que je suis un preux chevalier casqué qui escorte sa belle… Mon père qui a 84 ans commence à arrêter de prendre son vélo. Ma frangine se déplace aussi à vélo. Oui, on peut dire que le vélo, c’est une histoire de famille ! »

De l’importance de bien attacher son vélo et de l’utilité insoupçonnée du casque

En quarante-cinq ans de vélo à Strasbourg, Martin ne s’est fait voler son vélo qu’une seule fois : un beau vélo tout neuf qu’il a finalement retrouvé dans un buisson derrière le Palais Universitaire. Il a plusieurs conseils pour éviter de se faire dérober son vélo : « Un vélo neuf, il faut commencer par balancer de la peinture dessus pour qu’il soit moche et bien identifiable : on ne vous le touchera pas ! Personnellement, je pense que le meilleur moyen, c’est de bien accrocher son vélo. Je croise régulièrement des vélos qui sont attachés n’importe comment. Certains cyclistes les accrochent à des poteaux qui mesurent à peine un mètre de haut, d’autres n’attachent que leur selle… Un vrai poème ! Il m’est arrivé plus d’une fois d’emmêler une chaîne de cadenas pour qu’on ne voit pas que le malheureux cycliste, probablement rentré tard chez lui, n’avait en fait attaché son vélo avec rien ! »

La stratégie infaillible de Martin ? Mieux vaut deux cadenas qu’un ! Il s’explique : « J’ai systématiquement deux cadenas : un bon et un pas terrible – le cadenas « boulangerie », celui qui ne sert à rien, à part accrocher mon casque sur mon vélo et attacher mon vélo devant une boulangerie, juste pour que personne ne saute dessus et se fasse la malle avec. Avec deux cadenas, je me dis que le voleur préférera passer son chemin, plutôt que d’en forcer deux. »

Et côté casque ? Ce n’est que récemment que Martin a investi dans un casque de vélo, il explique pourquoi : « J’avais un accident de vélo environ tous les dix ans depuis l’âge de 12 ans. Mais depuis que je suis devenu inspecteur, j’ai eu un accident de vélo tous les trois ans. Ça commence à faire beaucoup. Est-ce que c’est moi qui prends de l’âge, est-ce que c’est parce que je suis plus préoccupé qu’avant ? Difficile à dire… Je me suis fait renverser par une voiture, il y a un peu plus de cinq ans : le conducteur ne m’a pas vu lorsqu’il a franchi le stop. Il ne roulait pas vite, mais j’étais tout de même bien amoché. Je me suis relevé et je suis allé acheter un casque. »

Martin ajoute avec un sourire : « La dernière fois que je suis tombé, je dois avouer que je n’étais pas mécontent d’avoir mon casque ! Je me suis bêtement pris une barrière sur la tête en sortant d’un parking… J’ai continué l’air de rien, mais qu’est-ce que j’ai pu être ridicule ! »

Véloptimiste !

Que pense Martin de la mobilité dans l’Eurométropole et ses environs ? La première chose qui lui vient à l’esprit, c’est l’heureuse victoire du tramway sur le VAL, il y a une vingtaine d’années : « Si nous avions eu un métro, nous n’aurions pas le centre piétonnier que nous connaissons maintenant. » Il souligne aussi la qualité du réseau de transport en commun, sur l’ensemble de l’Alsace : « Quand je compare ma situation avec celles d’autres collègues, qui passent toute leur journée dans leur voiture, je me dis que j’ai beaucoup de chance. Le temps que je perds, je le récupère en temps de travail dans les transports en commun. »

Côté vélo, Martin trouve qu’il est agréable de circuler dans l’Eurométropole : « La première chose que j’ai faite, lorsque je suis devenu inspecteur, cela a été de repérer les trajets que je pouvais prendre à vélo en passant par les petites rues. Il n’y a quasiment pas de pistes cyclables sur mes trajets les plus fréquents mais, comme ces rues ne sont pas très passantes, ce n’est pas gênant. Lorsque je dois me rendre au rectorat ou à la gare, je n’ai aucune envie d’enfiler l’avenue de la Forêt Noire, l’avenue d’Alsace et l’avenue des Vosges… »

Il poursuit :« Objectivement, les automobilistes ont appris à rouler avec les vélos à Strasbourg. Lorsque je vais à Haguenau ou à Saverne, je dois faire comme si je n’existais pas – quitte à être prêt à monter sur le trottoir… A Strasbourg, les automobilistes pestent beaucoup contre les cyclistes, mais ils ont l’habitude de rouler avec les vélos, ils savent gérer. Après, il est vrai que certains automobilistes exagèrent : je suis d’ailleurs le premier à m’engueuler avec ceux qui se garent sur les pistes cyclables. Mais bien souvent – en regardant les plaques d’immatriculation – on se rend compte que ce sont des personnes qui viennent d’autres départements. »

Force est de constater que Martin n’est pas toujours tendre avec les cyclistes : « Parfois, il faut reconnaître que certains sont totalement imbéciles : il m’arrive d’en voir sur les trottoirs, alors qu’il n’y a aucune voiture et qu’ils ne sont pas en danger. Je me demande bien ce qu’ils fabriquent là ! Il y a une autre chose qui m’agace au plus haut point, ce sont les cyclistes qui jouent de leur sonnette dans les zones piétonnes. Alors bien sûr, c’est une bonne chose de sonner de manière préventive, mais certains en abusent ! Moi, je préfère rouler prudemment, parce que je ne suis pas à ma place dans une zone piétonne : je ralentis, je fais attention, je demande gentiment aux gens de s’écarter… »

Le problème, c’est un manque global de civisme chez les usagers de la route : « En un mot, je trouve dommage que les cyclistes soient devenus aussi cons que les automobilistes ! On retrouve un phénomène similaire à ce qui s’est passé au début du siècle, lorsque les gens ont eu les moyens d’abandonner le vélo pour se payer une voiture. Comme la pratique du vélo se popularise et se généralise, les relations entre les différents usagers de la route deviennent plus compliquées. Il y a vingt ans, lorsque deux voitures se retrouvaient coincées l’une en face de l’autre, les automobilistes s’insultaient ; en revanche, deux cyclistes se faisaient un sourire. Maintenant, ce n’est plus vrai ! Les cyclistes s’insultent aussi facilement que les automobilistes. C’est exactement ce qui s’est passé aux Pays-Bas il y a une vingtaine d’années de cela : les cyclistes étaient aussi agressifs que les automobilistes – vous pouviez même vous faire insulter si vous marchiez sur une piste cyclable. Maintenant, on a cela à Strasbourg. »

Martin reconnaît volontiers qu’il y aurait des progrès à faire, notamment au niveau de la sanction des infractions, du fléchage des itinéraires cyclables et de la création d’itinéraires de déviation lors des chantiers. Néanmoins, il voit surtout les changements positifs : « Il est vrai que la municipalité actuelle a tendance à se reposer sur ses lauriers. Mais honnêtement, je préfère prendre ce qui est réussi. Lorsque j’allais au collège de l’Esplanade en 5ème, j’étais tout seul à vélo ; maintenant, je croise bon nombre de parents qui vont à l’école à vélo ou à trottinette avec leurs enfants. C’est une chose que l’on n’aurait pas imaginée il y a trente ans ! J’ai l’impression de pouvoir faire beaucoup de choses à vélo : je peux me rendre aussi bien dans des établissements au fin fond de l’espace européen à Schiltigheim, que dans des bahuts à l’autre bout d’Illkirch. C’est une chance ! »

—– Un grand merci à Martin pour s’être prêté au jeu de ­l’interview !