A bicyclette avec Annie et Denis

A bicyclette avec Annie et Denis

Pour notre deuxième article de la série « le vélo comme on l’aime », l’équipe du CADR 67 est partie pédaler dans le quartier de Cronenbourg, au nord-ouest de Strasbourg. Nous y avons fait la connaissance d’un couple de Strasbourgeois : Annie et Denis. Elle est infirmière au Centre Hospitalier Universitaire de Hautepierre, à deux pas de Cronenbourg. Il travaille pour l’Eurométropole de Strasbourg, à la direction de la construction et du patrimoine bâti. Elle aime le soleil et les balades. Il aime la montagne et le chant.

Lorsque nous leur avons demandé s’ils associaient vélo et chanson, ils ont fredonné à l’unisson La Bicyclette de Montand. Et Annie d’ajouter : « Cette chanson, c’est l’archétype même de la bonne journée ! C’est une bande de copains, heureux ensembles, tout simplement. C’est frais, c’est la nature. En un mot : la liberté du vélo ! » Bref, cette belle rencontre nous a donné des envies de balades et de ballades : à bicyclette avec Annie et Denis !

Premiers souvenirs de vélo : sacré bobo et grosse colère

Annie a passé son enfance dans le quartier de Cronenbourg. C’est son papa qui lui a appris à faire du vélo : « Je le vois encore tenir le porte-bagage pour que je ne chute pas. Je devais avoir six ou sept ans. » Enfant, elle fait surtout du vélo pour aller voir les copains dans le quartier. Pour le reste, elle se déplace principalement à pied – l’école étant tout près de la maison. Une fois au lycée, Annie utilise le vélo quotidiennement pour se rendre en cours – tous les matins, midis et soirs.

Denis, lui, a grandi dans le Haut-Rhin. Ses premiers souvenirs de vélo sont un peu flous : « J’ai appris alors que je devais avoir une dizaine d’années. Je pense que c’était avec mes parents, mais je ne m’en souviens pas très bien… » Comme Annie, il faisait assez peu de vélo étant enfant : « A l’époque, on habitait Ribeauvillé. On faisait pas mal de vélo dans la cour pour s’amuser, mais on l’utilisait peu se déplacer. Comme la maison était tout près du collège et du lycée, on pouvait quasiment tout faire à pied. »

Les souvenirs d’enfance sont l’occasion d’évoquer quelques anecdotes de jeunes cyclistes. Annie commence : « Enfant, j’ai habité pendant deux ans et demi à Niederbronn-les-Bains. Mon frangin faisait du vélo et j’étais assise derrière sur le porte-bagage. A un moment donné, une voiture nous a frôlé de très près, j’ai voulu l’éviter en rentrant mon pied et je me suis pris le talon dans la roue ! Un sacré bobo ! »

Denis enchaîne avec un sourire : « Moi, j’ai une anecdote « grosse colère » ! Quand nous avons quitté le Haut-Rhin pour revenir à Strasbourg, j’ai intégré le lycée Couffignal à la Meinau et je m’y rendais régulièrement en vélo. Et un beau jour, je me suis fait voler mon vélo ! Je suis rentré à la maison furax. Un ami de mes parent était là. C’était plutôt quelqu’un d’aisé – en tout cas, quelqu’un qui avait les moyens. J’ai raconté mon histoire et ce gars, tout ce qu’il a trouvé à me dire, c’était : « Oh mon pauvre Denis, si j’avais eu un vieux vélo, je te l’aurais donné… » Ça m’a mis dans une de ces colères ! J’ai trouvé ça tellement mesquin… »

Le vélo à travers les générations

Qu’en était-il des parents de Denis et Annie ? La réponse est sans détour : « Nos parents ne faisaient pas de vélo. » Comme l’explique Annie : « Mes parents ont fait du vélo quand ils étaient jeunes, parce que dans les années quarante, avant-guerre, il y avait très peu de voitures. A l’époque, on prenait le tram ou on se déplaçait à vélo. Mais après, plus jamais. Je crois bien que je n’ai jamais vu mes parents sur un vélo. »

Et les enfants, alors ? Annie et Denis racontent que leurs deux garçons ont commencé très tôt à faire du vélo. Pas toujours évident de se rappeler qui a appris quand et comment, mais les souvenirs reviennent peu à peu au fil de la discussion : « L’aîné Julien a appris à faire du vélo, en colonie de vacances, avec son enseignant de CP. En rentrant, il n’avait plus de petites roues ! Le cadet, Martin, a appris à faire du vélo dans la cour de l’école de Gustave Doré. Sa baby-sitter était l’une des institutrices de l’école. Il lui arrivait donc d’avoir la cour pour lui tout seul pendant les vacances et le mercredi. »

Comme l’expliquent Annie et Denis, apprendre le vélo était devenu un impératif pour le petit Martin : « Le moment décisif a été quand on lui a annoncé qu’on voulait partir en vacances à l’île Dieu, en Bretagne, où il n’est possible de se déplacer qu’à vélo. On lui a dit : « Cet été, les vacances c’est sans voiture ! Il faut donc que tu saches faire du vélo ! » C’était un peu du chantage, mais ça l’a décidé à s’y mettre ! » Annie ajoute : « Le pauvre… Je pense qu’il s’est pris les plus belles gamelles de sa vie pendant ces vacances-là… » Ah les parents !

Elle poursuit : « Les garçons ont appris à faire du vélo très tôt, mais ils n’allaient pas à l’école à vélo. Ils faisaient des tours dans le quartier, pour aller jouer, voir des copains : pour le plaisir ! Au quotidien, nous faisions la plupart de nos déplacements à pied. Julien est allé au collège Kléber et il s’est rapidement mis au vélo. Il étudie maintenant à la fac de Strasbourg et utilise le vélo de manière quasi quotidienne pour ses déplacements. Martin, lui, était plutôt transport en commun. Il allait au lycée Couffignal et cela faisait un trajet conséquent depuis Cronenbourg. Ce n’est que depuis l’année dernière qu’il s’est mis à faire beaucoup de vélo : il fait actuellement un BTS à Montbéliard et se rend tous les matins au lycée à vélo. »

Un couple, deux pratiques du vélo !

Annie préfère la jouer cash : « Je suis une cycliste beaucoup moins regulière que Denis ! » Il lui arrive souvent de prendre le vélo pour se rendre à son travail, au Centre Hospitalier Université de Hautepierre. A vélo, le trajet lui prend sept minutes chrono. Elle explique : « L’hôpital dispose d’un espace sécurisé pour garer les vélos, mais il est situé trop loin de mon vestiaire. Je préfère garer mon vélo à des arceaux plus proches. Il est exposé à la pluie, mais ça ne fait rien… » En effet, Annie a une astuce d’infirmière pour protéger sa selle de la pluie : enfiler un sur-chaussure dessus. Pas bête !

Pour Annie, pas question d’utiliser les transports en commun pour se rendre au travail : « Comme il n’y a pas de liaison directe, cela me ferait faire des détours insensés ! Par contre, quand je vais en ville, j’emprunte volontiers le bus ou le tramway. » Pour le travail, Annie avoue souvent préférer l’option voiture : « S’il fait trop moche, trop froid ou si je dois transporter des choses lourdes, je ne prends pas le vélo. »

Denis, lui, est un cycliste plus assidu. Il prend le vélo par presque tous les temps, sauf quand il fait vraiment trop mauvais. Dans ce cas, il emprunte les transports en commun. Comme l’explique Denis, la pratique du vélo est venue avec les années : « Au début, je me rendais au travail en voiture parce que je devais déposer les enfants à l’école. Le faire à vélo, c’était trop compliqué. Une fois les enfants grands, je suis passé au bus et au tram. Et depuis quelques années maintenant, je fais le trajet à vélo. »

Comment expliquer ce changement ? Denis est d’abord convaincu qu’il faut réduire l’utilisation de la voiture en ville, pour limiter les impacts environnementaux.  Mais ce sont aussi les aspects pratico-pratiques du vélo qui l’ont incité à se mettre en selle : « Il était devenu impossible de se garer au travail et je passais autant de temps à m’énerver dans les bouchons qu’à prendre les transports en commun. Au bout d’un moment, j’en ai eu ras-le-bol du bus et du tram : de la promiscuité, des gens qui ne sont pas toujours agréables, du temps passé à attendre si je loupe un bus… Finalement, je mets presque le même temps à vélo qu’en transport en commun ! » Et Denis s’est peu à peu pris au jeu : « Le vélo me permet de faire de l’exercice, de bien me réveiller le matin et de déconnecter le soir en rentrant. J’aime traverser la ville à vélo le matin, passer par Grand Rue quand la ville s’éveille… »

Denis poursuit : « Je n’ai aucun problème pour garer mon vélo au boulot. On a un superbe parking à vélos sur le parvis de l’Eurométropole. C’est parfois un peu juste pendant la belle saison, mais on arrive toujours à trouver une place. Il y a aussi un autre parking à l’intérieur du bâtiment, qui est accessible de plein-pied. » Et si Denis n’est pas venu à vélo le matin, il peut toujours emprunter un vélo en libre-service : « Nous avons la chance de pouvoir profiter des vél’hop gratuitement. Ils sont garés sur le parking du personnel et mis à disposition. Je peux utiliser le vél’hop pour mes déplacements de travail pendant la journée. Si je dois aller dans des quartiers éloignés, au Neuhof par exemple, je préfère la voiture : c’est quand même plus pratique. »

Strasbourg : capitale de la petite reine ?

Lorsque nous demandons à Annie et Denis ce qu’ils retiennent de positif des transports dans l’Eurométropole, leur réponse est sans détour : « Le tram ! ». Annie regrette néanmoins le prix élevé de l’abonnement et du billet : « Ils ont revu les tarifs à la hausse il n’y a pas longtemps. Pour les gens, les jeunes notamment, c’est un sacré coût ! » En revanche, Annie apprécie la piétonisation du centre-ville : « Pour avoir connu enfant la place Kléber livrée aux voitures, je mesure le chemin qui a été parcouru ! Pouvoir partir de la Fnac et arriver à l’autre bout de la place sans croiser une seule voiture, c’est vraiment top ! Strasbourg est une ville agréable pour cela : on peut tout faire à pied. » Denis est bien d’accord : « Au cœur de la ville, les piétons sont rois ! Il n’y a quasiment plus de voitures, les parkings sont souterrains, le stationnement en surface est limité : c’est une bonne chose. »

Et côté vélo ? Comme nous allons le voir, Annie et Denis ont des avis bien contrastés sur la question !

« Strasbourg, 4ème ville cyclable du monde », qu’en pensez-vous ? Denis se montre impressionné, quoiqu’un tantinet sceptique : « Wow ! Je savais qu’on était très bien positionnés, mais à ce point-là… On arrive à battre des villes hollandaises ? » Annie, elle, n’y croit pas une seconde : « Moi, je dirais : Strasbourg, peut mieux faire ! »

Première critique : le manque d’infrastructures cyclables sur les grands axes. Annie s’explique : « Honnêtement à Cronenbourg, je n’ai pas l’impression d’être dans la capitale du vélo ! Ce n’est vraiment pas agréable de faire du vélo sur les grandes axes, comme la route de Mittelhausbergen ou celle d’Oberhausbergen. » Denis confirme : « C’est vrai que ce n’est pas pratique. Il faut prendre les petites rues, emprunter la rue du Rieth et celle de Hochfelden. Ça fait faire un petit détour. Au niveau du groupe scolaire Gustave Doré, c’est vrai que c’est une catastrophe le matin et le soir, lorsque les parents viennent déposer leurs enfants en voiture… » Mais comment faire pour « créer »  de l’espace pour les vélos ? Comme le souligne Denis, les choses ne sont pas si simples : « Le problème, c’est que les chaussées sont trop étroites. Tant que ces axes seront ouverts à la circulation automobile, il n’y aura pas moyen de créer des pistes cyclables – à moins de casser les immeubles pour élargir la chaussée et permettre à la fois la circulation des automobiles, des bus et des vélos… » Annie évoque aussi les problèmes des chaussées endommagées et des travaux qui proposent rarement des itinéraire alternatifs pour les vélos : « Avoir un bitume un petit peu plus lisse, ce serait plus sympa ! »

Pour Annie, circuler en vélo dans le centre-ville est loin d’être une sinécure : « Il y a du monde, des touristes, des piétons… Et les gens ne font pas toujours attention aux vélos. Grand Rue à vélo, je trouve que c’est compliqué ! Honnêtement, on ne peut pas tracer à vélo en ville. » Denis rétorque avec malice : « Bah moi, je trace pourtant ! » Il ajoute : « Mais, c’est vrai qu’il faut être prudent. On ne peut pas tracer dans le secteur piétonnier. Dans la plupart des cas, il n’y a pas de pistes cyclables parce qu’il n’y a pas de place. Et c’est normal. Après, il y a clairement des problèmes de cohabitation entre les piétons et les cyclistes. L’un comme l’autre peuvent être aussi indisciplinés que certaines automobilistes ! » Denis poursuit : « Il y aurait aussi des choses à redire au niveau du stationnement pour les vélos. On voit des vélos attachés partout, n’importe où… On manque de places de stationnement réservées aux vélos, bien sécurisées. Je pense que ça va s’améliorer avec le temps. »

Annie et Denis s’accordent sur un point : à vélo, on ne sent pas toujours en sécurité ! « En l’absence de piste cyclable, clairement non. Sur les lignes de bus, encore moins ! Et même sur certains axes, quand on est en présence d’une piste cyclable, il faut rester vigilant aux intersections. Il faut toujours être prudent à vélo. On n’est jamais à l’abri d’une voiture qui débouche et qui ne s’arrête pas. » – pour reprendre les mots de Denis. La hantise d’Annie, c’est la portière qui s’ouvre : « J’ai toujours peur de me prendre une portière, lorsque je roule à côté d’une rangé de voitures garées… » Et Denis de conclure : « On sait qu’on reste des utilisateurs fragiles de la voirie et qu’il faut être vigilant. »

Si Annie se montre plutôt critique, Denis préfère voir le côté positif des choses : « Je trouve que de beaux efforts ont été faits pour le vélo. Nous disposons de belles pistes cyclables, dans les limites permises par le tissu urbain dense de Strasbourg. Il y a aussi des balades sympathiques : la piste des Forts par exemple ou encore le long du canal de la Bruche. » Annie ajoute : « Actuellement, il est clair que la ville met beaucoup plus l’accent sur les transports en commun que sur le vélo. Néanmoins, de belles choses ont été faites : le vél’hop par exemple ! » Et Denis donne le mot de la fin : « Le challenge Au Boulot à Vélo est aussi une belle réussite. Il a beaucoup été relayé à l’Eurométropole. On a même un challenge dédié au sein de la collectivité entre directions et services… »

– – – Un grand merci à Annie et Denis pour avoir partagé leur expérience et leur bonne humeur !

Pura vida en bicicleta !

Pura vida en bicicleta !

Avec le froid glacial de ces dernières semaines, l’équipe du CADR 67 a décidé de mettre le cap au sud, direction l’Amérique Centrale. Nous débarquons dans un petit pays, dont la superficie est équivalente à celle de la région Grand Est. Mais ne vous y trompez pas : ses habitants, surnommés les Ticos, pourraient bien vous surprendre.

On vous donne quelques indices : le pays a fait le choix de la démilitarisation totale depuis 1949, il produit la quasi-totalité de son électricité à partir des énergies renouvelables et il a été sacré « pays le plus heureux du monde » par l’Happy Planet Index. Vous avez trouvé ? Bienvenue au Costa Rica ! Nous retrouvons Roberto, grand sportif amoureux de la petite reine, pour une interview haute en couleurs et qui sent bon le café…

Café, sport, plage : le secret du bonheur ?

Comme tout bon Costaricain qui se respecte, Roberto est un fan inconditionnel de café. NDLR : Moi qui suis plutôt thé/tisane, je dois avouer que le café du Costa Rica vaut le détour – j’en toucherai d’ailleurs quelques mots à Fabien, histoire de renouveler les réserves du CADR 67…

Roberto est aussi un grand sportif. Le sport, c’est un truc de famille : sa mère a fait partie de l’équipe nationale costaricaine de basket-ball féminin et continue d’entraîner des équipes, à près de soixante-cinq ans. Roberto, lui, pratique le triathlon depuis plus de vingt ans. Cette pratique sportive à haut niveau lui a donné l’occasion de voyager à travers le monde pour participer à diverses compétitions, en parallèle de son cursus scolaire.

A l’issue d’une licence en génie civil à l’Universidad de Costa Rica, Roberto a travaillé quelques années dans le domaine de la construction. Il m’expliquera un jour que les conditions de travail n’étaient pas optimales : « J’ai commencé à travailler en 2008, au moment de l’effondrement du marché immobilier aux États-Unis. Ce n’était pas une période facile pour le BTP. Et puis, je n’aimais pas ce que je faisais : je voulais quelque chose de différent. »

Roberto décroche alors un poste de business researcher dans un cabinet de conseil. Son métier ? Mener des études de marché, dans le domaine des transports et des infrastructures, en lien avec les équipes de consultants. Comme il le dit lui-même : « Contribuer à l’amélioration des transports et des déplacements, voilà ce dont je rêve depuis toujours ! » Roberto fait un petit détour par Munich, en Allemagne, où il décroche un master de spécialisation dans les systèmes de transport, avant de rentrer au Costa Rica où il exerce désormais comme senior business researcher.

Le vélo : de la pratique sportive aux déplacements du quotidien

En un mot : Roberto aime le vélo. Il est d’ailleurs un fan inconditionnel du Tour de France, qu’il a suivi avec beaucoup d’assiduité, lorsqu’il était au lycée et à l’université. Roberto s’explique : « J’aime la compétition bien sûr, mais avec le Tour de France, c’est surtout l’esprit d’équipe que je trouve remarquable. On ne dirait pas comme ça, mais il y a toute une stratégie qui se met en place au sein de l’équipe des coureurs. Par exemple, les cyclistes se mettent en formation pour bloquer le vent et permettre aux autres d’avancer. A la fin, il n’y a qu’un gagnant, mais le champion n’atteindrait jamais les marches du podium sans le soutien de ses coéquipiers. »

Roberto a appris à faire du vélo quand il avait sept ans, avec son père, devant la maison familiale. Il ajoute avec un sourire : « Je m’en souviens comme si c’était hier ! » Petit, il utilise souvent le vélo pour se déplacer dans son quartier, mais ne s’aventure pas sur le chemin de l’école. Il explique : « Personne ne se rendait à l’école à vélo. Il n’y avait même pas de place pour garer les vélos à l’école… Soit les parents amenaient leurs enfants en voiture, soit les enfants venaient en mini-bus. »

Maintenant qu’il travaille à la capitale, San José, Roberto pratique le vélo de manière quasi quotidienne : le week-end, pour faire du sport, mais aussi en semaine pour se rendre au travail. Il raconte : « Je prends le vélo environ deux fois par semaine pour aller travailler. Le trajet de chez moi au bureau fait 5,5 km. Parfois, je préfère utiliser la voiture : s’il pleut fort ou si j’ai des choses lourdes à transporter. Après 8h du matin, il devient difficile de venir au travail à vélo. Il commence à faire très chaud et, comme j’ai une côte importante à gravir, ce n’est vraiment pas pratique ! » Il ajoute : « Je suis sur le point d’acheter un vélo électrique, un bon moyen de franchir les côtes sans trop se fatiguer. Je suis persuadé que ce serait une excellente solution pour beaucoup de personnes ! Le problème, c’est que l’achat d’un vélo électrique coûte cher – un peu moins de 1.000 dollars – et que beaucoup de Costaricains ne peuvent pas se le permettre… ».

Qu’en est-il des proches de Roberto ? « Mes amis sportifs font pas mal de vélo, mais très peu de mes collègues l’utilisent pour se rendre au travail. Actuellement, sur les 800 personnes de mon entreprise, je n’en ai vu que 3 ou 4 venir au travail à vélo. La grande majorité vient en voiture ou utilise le bus d’entreprise. » Roberto explique les freins à la pratique du vélo : « Il y a bien sûr le climat chaud (autour de 28-29 degrés en milieu de journée) et la topographie vallonnée du Costa Rica, mais ce ne sont pas les raisons principales. Le plus problématique, c’est la vétusté des infrastructures et le trafic automobile dense qui rendent la circulation à vélo dangereuse. »

Preuve à l’appui, Roberto m’envoie un petit film de son trajet à vélo de chez lui au bureau :

 

Une anecdote sur le vélo ? « Une fois, j’étais au Costa Rica en train de descendre une colline à vélo, lorsqu’un camion a failli me renverser. J’ai bien cru que j’allais y passer. J’ai vu ma vie défiler devant mes yeux pendant une fraction de seconde. » Après un petit moment de pause, Roberto ajoute : « En y repensant, j’ai aussi failli mourir au volant de ma voiture… La sécurité routière au Costa Rica est vraiment problématique ! »

Presas, presas, presas

La question des transports et des déplacements est au cœur des débats publics au Costa Rica. Le pays doit faire face à des embouteillages monstres, que les Costaricains appellent « presas » (qui signifie « proies », en référence aux automobilistes captifs des embouteillages) . Ces interminables files de véhicules représentent une perte de temps considérable pour les conducteurs mais aussi un poids économique pour le pays : en 2009, le coût généré par les embouteillages était estimé à près de 3% du PIB costaricain ! La faute à l’explosion de la taille du parc automobile, la centralisation du travail et des services dans la capitale, un réseau d’infrastructure vétuste et inadapté, sans compter la déficience des transports publics.

Roberto s’exprime à ce sujet : « Le point positif, c’est qu’il est possible de se rendre quasiment partout dans le pays avec le réseau de bus. Les tarifs sont raisonnables, mais ce n’est pas non plus bon marché. Comme le gouvernement ne donne pas de subventions, le financement du réseau repose entièrement sur les revenus générés par la vente des tickets. » Il poursuit : « Le problème, c’est qu’il n’y a pas de véritable coordination entre les différentes lignes de bus, chacune étant opérée par une compagnie de transport différente ! Le réseau de bus reste très rudimentaire : il n’y a pas de site internet où trouver l’information, pas de fiches horaires et les clients sont obligés de payer en liquide… »

Et le vélo dans tout cela ? « Pour qu’il y ait plus de personnes qui se mettent au vélo, la première chose à faire, c’est d’assurer la sécurité des cyclistes. Actuellement, il n’y a quasiment pas d’infrastructures cyclables. La première piste cyclable digne de ce nom a été récemment inaugurée dans la capitale (environ 6 km) et une nouvelle piste devrait bientôt la traverser d’ouest en l’est (sur 13 km). » Il ajoute : « Depuis quatre ans maintenant, les choses commencent à bouger. Les médias se mobilisent et des groupes de pression commencent à faire entendre leurs voix. Les Costaricains commencent à être plus instruits et à parler de transport public. »

Roberto m’explique avoir contribué aux actions de l’association non gouvernementale ACONVIVR : un groupement d’athlètes qui militent contre la violence routière et le manque de respect des usagers de la route. L’association a mis en place plusieurs campagnes pour sensibiliser le grand public au problème de la sécurité routière, promouvoir l’utilisation du vélo et autres moyens de transport non motorisés, mais également demander l’achèvement de routes, partiellement construites, afin que celles-ci soient plus sûres et plus accessibles. Suite à la loi décrétant le port obligatoire du casque pour les cyclistes, ACONVIVIR a lancé la campagne Casco para el prójimo (« Un casque pour le voisin ») dans le but de collecter des casques de vélos pour les personnes qui n’auraient pas les moyens d’en acheter, notamment les élèves des écoles rurales.

Conscient des difficultés à faire bouger les choses au niveau gouvernemental, Roberto est rentré de Munich avec de belles idées plein la tête. L’une d’entre elles est le concept du « Corporate Mobility Management » – qui pourrait être traduit en français par « la gestion de la mobilité d’entreprise ». Puisque le trafic automobile est en grande partie dû aux personnes qui se rendent au travail, autant prendre le problème à bras le corps en mobilisant les entreprises. Encourager l’autopartage entre les employés, mettre en place un bus d’entreprise, faciliter le travail à la maison, installer des douches pour les employés se rendant au travail à vélo, participer au financement de l’achat d’un vélo électrique : voilà autant d’initiatives que les entreprises costaricaines pourraient mettre en place pour améliorer la mobilité de leurs collaborateurs et lutter contre le fléau des « presas ».

Dans un pays aussi porté sur l’environnement et les énergies propres que le Costa Rica, il serait grand temps de repenser les pratiques de mobilité pour des déplacements plus durables et tout simplement plus vivables ! Au CADR 67, on a une suggestion : et si la devise du pays « Pura vida » (« la vie pure ») devenait « Pura vida en bicicleta » (« la vie pure à vélo ») ?

—- Muchas Gracias Roberto for answering my questions and correcting my Spanish !

 Pour en savoir plus :

L’inspecteur à vélo

L’inspecteur à vélo

Entre deux étapes de notre tour du monde du vélo, l’équipe du CADR 67 vous propose de découvrir les multiples facettes des pratiques cyclables dans l’Eurométropole de Strasbourg. Une galerie de portraits qui fait écho à notre slogan « le vélo comme on l’aime » : des mordus du vélo, aux cyclistes du dimanche, en passant par les compétiteurs hors pair du challenge Au Boulot à Vélo

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Je retrouve Martin dans un café à deux pas de l’Université de Strasbourg. Il m’accueille, tout sourire, un casque de vélo bien en évidence à côté de sa tasse de thé. Strasbourgeois d’origine, Martin est inspecteur… de l’éducation nationale ! Depuis une dizaine d’années maintenant, il inspecte, évalue et conseille les enseignants de lettres et d’histoire en lycée professionnel dans l’académie de Strasbourg. Et tout ça : à vélo bien sûr ! Rencontre avec celui qui se surnomme lui-même « l’inspecteur à vélo ».

Le quotidien d’un « cyclo-boulot-dodo »

Fervent adepte de la petite reine, Martin utilise le vélo de façon quasi quotidienne pour ses déplacements : « J’effectue la plupart de mes trajets à vélo, que ce soit pour me déplacer dans Strasbourg ou pour aller inspecter, principalement dans le département du Bas-Rhin. Bien souvent, les lycées se situent à proximité d’une gare : j’ai donc la chance de pouvoir utiliser très peu la voiture et d’associer l’usage du vélo à celui des trains régionaux. Pour aller à Haguenau et Saverne, j’embarque systématiquement mon vélo dans le train ; pour me rendre à Bischwiller, Sarre-Union et Wissembourg qui sont moins bien desservies, j’ai plutôt tendance à utiliser la voiture. Quand je vais à Sélestat, c’est plus problématique car les vélos sont interdits dans les trains sur la ligne Strasbourg-Mulhouse pendant les heures de pointe… »

Parmi ses collègues, Martin est l’un des rares à utiliser le vélo pour ses déplacements professionnels : « Je suis connu pour être « l’inspecteur à vélo ». Dans les bahuts aussi, les gens le savent ! J’ai croisé des collègues inspecteurs dans le bus, dans le train, et il y en a beaucoup qui viennent en voiture. Par contre, je n’ai pas souvenir d’en avoir vus à vélo. C’est peut-être parce qu’ils n’habitent pas à Strasbourg. Il faut avouer que c’est un métier où l’on doit être mobile : l’option voiture reste bien pratique. »

Cycliste un jour… cycliste toujours !

Mais alors, pourquoi le vélo ? La réponse est simple : « Parce que j’en ai toujours fait ! Quand j’étais petit, mes parents ont déménagé et, comme je voulais rester dans mon collège, j’ai dû y aller à vélo. A l’époque, je n’ai même pas envisagé de prendre le bus. Mes parents étaient assez sympas pour me laisser y aller à vélo, alors j’en ai profité ! En y repensant, j’ai fait du vélo toute ma vie, sauf pendant mes quelques années d’études où j’habitais dans le quartier de la Krutenau, à deux pas de l’université, et où je me déplaçais à pied. »

Martin en profite pour glisser une anecdote sur ses jeunes années de cycliste : « Mon plus lointain souvenir de vélo, c’est un souvenir d’école buissonnière – ce qui est peu banal pour un inspecteur de l’éducation nationale ! J’avais été détourné de l’école maternelle par un copain et nous faisions alternativement des tours avec mon vélo. A un moment, il a ramené mon vélo et puis il est reparti, je n’ai pas très bien compris pourquoi. Et à ce moment-là, mon père est arrivé… »

Au-delà des habitudes, Martin souligne les côtés pratiques du vélo et du train par rapport à la voiture : « En vélo, je sais exactement le temps qu’il me faut, à la minute près – sauf si je traîne. En train, j’estime aussi très bien le temps de mes trajets, quitte à compter large. Lorsque j’arrive en avance, j’en profite pour travailler près de la gare. Depuis que j’inspecte, je suis devenu un connaisseur hors pair des salons de thé d’Alsace ! »

Et qu’en est-il de ses proches ? « Comme nous vivions un peu excentrés, ma fille a toujours roulé à vélo. Nous avions un peu les pétoches, mais ça ne lui a jamais posé de problèmes. Maintenant qu’elle est adulte, elle fait toujours beaucoup de vélo. Elle a d’ailleurs mis longtemps avant de passer son permis. Maintenant, si elle a le choix entre le vélo et la voiture, je pense qu’elle prendrait le vélo. Ma chère et tendre a des crises de paresse qui font qu’elle préfère prendre la voiture, plutôt que le vélo. C’est fort déplaisant de devoir l’accompagner avec mon casque, alors qu’elle n’en a pas. Pour me réconforter, j’essaie de me dire que je suis un preux chevalier casqué qui escorte sa belle… Mon père qui a 84 ans commence à arrêter de prendre son vélo. Ma frangine se déplace aussi à vélo. Oui, on peut dire que le vélo, c’est une histoire de famille ! »

De l’importance de bien attacher son vélo et de l’utilité insoupçonnée du casque

En quarante-cinq ans de vélo à Strasbourg, Martin ne s’est fait voler son vélo qu’une seule fois : un beau vélo tout neuf qu’il a finalement retrouvé dans un buisson derrière le Palais Universitaire. Il a plusieurs conseils pour éviter de se faire dérober son vélo : « Un vélo neuf, il faut commencer par balancer de la peinture dessus pour qu’il soit moche et bien identifiable : on ne vous le touchera pas ! Personnellement, je pense que le meilleur moyen, c’est de bien accrocher son vélo. Je croise régulièrement des vélos qui sont attachés n’importe comment. Certains cyclistes les accrochent à des poteaux qui mesurent à peine un mètre de haut, d’autres n’attachent que leur selle… Un vrai poème ! Il m’est arrivé plus d’une fois d’emmêler une chaîne de cadenas pour qu’on ne voit pas que le malheureux cycliste, probablement rentré tard chez lui, n’avait en fait attaché son vélo avec rien ! »

La stratégie infaillible de Martin ? Mieux vaut deux cadenas qu’un ! Il s’explique : « J’ai systématiquement deux cadenas : un bon et un pas terrible – le cadenas « boulangerie », celui qui ne sert à rien, à part accrocher mon casque sur mon vélo et attacher mon vélo devant une boulangerie, juste pour que personne ne saute dessus et se fasse la malle avec. Avec deux cadenas, je me dis que le voleur préférera passer son chemin, plutôt que d’en forcer deux. »

Et côté casque ? Ce n’est que récemment que Martin a investi dans un casque de vélo, il explique pourquoi : « J’avais un accident de vélo environ tous les dix ans depuis l’âge de 12 ans. Mais depuis que je suis devenu inspecteur, j’ai eu un accident de vélo tous les trois ans. Ça commence à faire beaucoup. Est-ce que c’est moi qui prends de l’âge, est-ce que c’est parce que je suis plus préoccupé qu’avant ? Difficile à dire… Je me suis fait renverser par une voiture, il y a un peu plus de cinq ans : le conducteur ne m’a pas vu lorsqu’il a franchi le stop. Il ne roulait pas vite, mais j’étais tout de même bien amoché. Je me suis relevé et je suis allé acheter un casque. »

Martin ajoute avec un sourire : « La dernière fois que je suis tombé, je dois avouer que je n’étais pas mécontent d’avoir mon casque ! Je me suis bêtement pris une barrière sur la tête en sortant d’un parking… J’ai continué l’air de rien, mais qu’est-ce que j’ai pu être ridicule ! »

Véloptimiste !

Que pense Martin de la mobilité dans l’Eurométropole et ses environs ? La première chose qui lui vient à l’esprit, c’est l’heureuse victoire du tramway sur le VAL, il y a une vingtaine d’années : « Si nous avions eu un métro, nous n’aurions pas le centre piétonnier que nous connaissons maintenant. » Il souligne aussi la qualité du réseau de transport en commun, sur l’ensemble de l’Alsace : « Quand je compare ma situation avec celles d’autres collègues, qui passent toute leur journée dans leur voiture, je me dis que j’ai beaucoup de chance. Le temps que je perds, je le récupère en temps de travail dans les transports en commun. »

Côté vélo, Martin trouve qu’il est agréable de circuler dans l’Eurométropole : « La première chose que j’ai faite, lorsque je suis devenu inspecteur, cela a été de repérer les trajets que je pouvais prendre à vélo en passant par les petites rues. Il n’y a quasiment pas de pistes cyclables sur mes trajets les plus fréquents mais, comme ces rues ne sont pas très passantes, ce n’est pas gênant. Lorsque je dois me rendre au rectorat ou à la gare, je n’ai aucune envie d’enfiler l’avenue de la Forêt Noire, l’avenue d’Alsace et l’avenue des Vosges… »

Il poursuit :« Objectivement, les automobilistes ont appris à rouler avec les vélos à Strasbourg. Lorsque je vais à Haguenau ou à Saverne, je dois faire comme si je n’existais pas – quitte à être prêt à monter sur le trottoir… A Strasbourg, les automobilistes pestent beaucoup contre les cyclistes, mais ils ont l’habitude de rouler avec les vélos, ils savent gérer. Après, il est vrai que certains automobilistes exagèrent : je suis d’ailleurs le premier à m’engueuler avec ceux qui se garent sur les pistes cyclables. Mais bien souvent – en regardant les plaques d’immatriculation – on se rend compte que ce sont des personnes qui viennent d’autres départements. »

Force est de constater que Martin n’est pas toujours tendre avec les cyclistes : « Parfois, il faut reconnaître que certains sont totalement imbéciles : il m’arrive d’en voir sur les trottoirs, alors qu’il n’y a aucune voiture et qu’ils ne sont pas en danger. Je me demande bien ce qu’ils fabriquent là ! Il y a une autre chose qui m’agace au plus haut point, ce sont les cyclistes qui jouent de leur sonnette dans les zones piétonnes. Alors bien sûr, c’est une bonne chose de sonner de manière préventive, mais certains en abusent ! Moi, je préfère rouler prudemment, parce que je ne suis pas à ma place dans une zone piétonne : je ralentis, je fais attention, je demande gentiment aux gens de s’écarter… »

Le problème, c’est un manque global de civisme chez les usagers de la route : « En un mot, je trouve dommage que les cyclistes soient devenus aussi cons que les automobilistes ! On retrouve un phénomène similaire à ce qui s’est passé au début du siècle, lorsque les gens ont eu les moyens d’abandonner le vélo pour se payer une voiture. Comme la pratique du vélo se popularise et se généralise, les relations entre les différents usagers de la route deviennent plus compliquées. Il y a vingt ans, lorsque deux voitures se retrouvaient coincées l’une en face de l’autre, les automobilistes s’insultaient ; en revanche, deux cyclistes se faisaient un sourire. Maintenant, ce n’est plus vrai ! Les cyclistes s’insultent aussi facilement que les automobilistes. C’est exactement ce qui s’est passé aux Pays-Bas il y a une vingtaine d’années de cela : les cyclistes étaient aussi agressifs que les automobilistes – vous pouviez même vous faire insulter si vous marchiez sur une piste cyclable. Maintenant, on a cela à Strasbourg. »

Martin reconnaît volontiers qu’il y aurait des progrès à faire, notamment au niveau de la sanction des infractions, du fléchage des itinéraires cyclables et de la création d’itinéraires de déviation lors des chantiers. Néanmoins, il voit surtout les changements positifs : « Il est vrai que la municipalité actuelle a tendance à se reposer sur ses lauriers. Mais honnêtement, je préfère prendre ce qui est réussi. Lorsque j’allais au collège de l’Esplanade en 5ème, j’étais tout seul à vélo ; maintenant, je croise bon nombre de parents qui vont à l’école à vélo ou à trottinette avec leurs enfants. C’est une chose que l’on n’aurait pas imaginée il y a trente ans ! J’ai l’impression de pouvoir faire beaucoup de choses à vélo : je peux me rendre aussi bien dans des établissements au fin fond de l’espace européen à Schiltigheim, que dans des bahuts à l’autre bout d’Illkirch. C’est une chance ! »

—– Un grand merci à Martin pour s’être prêté au jeu de ­l’interview !

Biking USA

Biking USA

Et si le CADR 67 décidait… de sortir du cadre justement ? Si l’herbe est toujours plus verte ailleurs, qu’en est-il de la pratique de la petite reine de l’autre côté de nos frontières ? Je vous propose de quitter notre douce France, le temps de quelques articles, pour partir à la rencontre de cyclistes, aux quatre coins du monde, qui ont accepté de nous faire partager un petit bout de leur histoire et quelques bonnes pratiques (ou non !) à ramener dans nos valises.

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Notre tour du monde du vélo débute par une destination qui est loin d’être le paradis rêvé des cyclistes. Là-bas, on est plutôt du genre 4×4, Monster Truck, grosses cylindrées… mais aussi vélos partagés ! Sortez votre Stetson et vos lunettes de soleil, nous partons pour San Diego, en Californie, à deux pas de la frontière mexicaine.

16h heure française – 8h du matin heure de San Diego : autant vous dire que Greg est un peu ronchon lorsque je l’appelle ce dimanche… Heureusement, il retrouve vite sa bonne humeur et son mordant habituels, tout fier d’être interviewé sur un « french website » pour parler vélo et mobilité.

Repenser l’espace du quotidien

Greg est originaire d’Atlanta en Géorgie. Lorsqu’il intègre l’University of Georgia, à une trentaine de kilomètres de sa ville natale, il choisit la filière architecture du paysage. Greg m’avouera un jour, pas très fier, qu’il envisageait à l’époque de devenir concepteur de terrains de golf. « Ce que je pouvais être à côté de la plaque… », me dira-t-il.

Pendant ses études, Greg découvre l’architecture, l’urbanisme et l’aménagement du territoire. Il mesure alors avec effarement les conséquences désastreuses de l’étalement urbain et du tout-voiture. Penser l’espace, voilà ce dont Greg a envie. Mais certainement pas celui des terrains de golf : l’espace du quotidien, où la voiture semble avoir pris toute la place, au détriment des habitants…

A l’issue de son Bachelor, Greg travaille pendant plusieurs mois à Pékin dans un cabinet d’architecture et d’urbanisme, avant de rentrer à Atlanta où il décroche un poste d’ingénieur projet. Mais Greg sent bien qu’un aménagement cohérent du territoire nécessite une réflexion sur la mobilité. Il décide alors de reprendre ses études et intègre un Master sur les systèmes de transport, à Munich en Allemagne. Son diplôme en poche, Greg retourne aux États-Unis, où il travaille depuis maintenant un an et demi comme consultant en mobilité.

Un Américain à vélo

Greg devait avoir six ou sept ans lorsqu’il a appris à faire du vélo avec ses parents. Il se rappelle de la route sablée sur laquelle il a commencé à pédaler, à deux pas de sa maison de vacances en Floride, où sa famille se rendait tous les étés. Selon lui : « C’était plus facile d’apprendre ici qu’à la maison : les routes de Floride sont plus plates qu’en Géorgie. » Durant son enfance, Greg fait du vélo régulièrement, mais les balades se limitent aux environs de son quartier.

Lorsqu’il devient étudiant, Greg utilise très souvent le vélo pour se déplacer sur le campus de l’University of Georgia. Il s’agit d’une zone urbaine dense et compacte, où il est commode de circuler à vélo. Pour autant, les cyclistes se font plutôt rares et la quasi-totalité des étudiants possède une voiture. « Comment emmener une fille en sortie si tu n’as pas de 4×4 ? » – ironise Greg avec malice.

Ce dernier garde un souvenir mémorable de ses années d’études à Munich, où il s’est mis à pratiquer le vélo de manière quotidienne. Il se souvient notamment d’une expédition vélo avec un ami allemand, au cours de laquelle ils sont allés de Munich à Venise, en passant par les montagnes suisses – en une semaine. Autant vous dire que les deux compères sont plutôt du genre sportif.

Depuis qu’il travaille à San Diego, Greg a réussi l’exploit de ne pas posséder de voiture. Il se déplace principalement à pied, à vélo ou en Uber – « très bon marché en Californie », selon ses dires. Il faut toutefois préciser que Greg habite tout près de son travail, sans quoi, il avoue que vivre sans voiture relèverait du parcours du combattant. Il explique : « Tous les matins, j’ai une vue imprenable sur l’océan pacifique en passant par le pont de First Street. C’est mon petit bonheur quotidien. »

Comme Greg ne se rend pas au travail en voiture, il bénéficie d’une indemnité financière de la part de son entreprise : le parking cash-out. Il s’agit d’une mesure peu connue en France, mais qui commence à faire son chemin dans les pays anglo-saxons. Depuis 1992, l’état de Californie a instauré le Parking Cash-Out Program : les entreprises de plus de 50 salariés qui subventionnent des places de parking pour leurs employés sont tenues de verser une compensation financière à ceux qui se rendent au travail par un autre mode de transport que la voiture. Voilà une mesure pleine de sens pour les employés comme pour les employeurs, aussi bien d’un point de vue écologique que financier – quand on sait le coût que représente la location des places de parking dans le budget des entreprises.

Plusieurs collègues de Greg se rendent également au travail à pied ou à vélo, mais la grande majorité utilise la voiture. A San Diego, comme dans la plupart des villes américaines, la pratique du vélo est encore timide.

Biking USA ?

Greg est nostalgique de ses années passées à Munich, la capitale allemande du vélo. Il se montre  critique vis-à-vis des systèmes de transport aux États-Unis, à commencer par l’absence d’infrastructures pour les piétons et les cyclistes : « Bien souvent, il n’y a pas de piste cyclable ou alors celle-ci se trouve juste à côté d’une autoroute ! Il n’y a rien de plus stressant pour les cyclistes…  San Diego dispose d’un réseau de pistes cyclables plutôt honorable, mais elles sont souvent déconnectées les unes des autres. » Greg ajoute : « Un autre problème, c’est que les automobilistes n’ont pas l’habitude de partager la route avec des vélos : il y a donc beaucoup d’accidents. Il y aurait de vrais progrès à faire en terme de prévention routière. »

Une des clefs du problème, c’est que le vélo n’est pas considéré comme un moyen de transport à part entière. Selon Greg, la pratique du vélo est surtout cantonnée au sport et aux loisirs : « A San Diego, par exemple, beaucoup de gens font du vélo le long de la côte pacifique le week-end. Par contre, peu de personnes utilisent le vélo pour se rendre au travail… »

Greg déplore également le cruel manque de liaisons de transport public entre les différents États : « Les gens n’ont pas vraiment le choix, c’est soit la voiture, soit l’avion. Et ce n’est pas comme en Europe, où vous pouvez vous rendre de Berlin à Madrid à bon prix avec une compagnie low-cost. Aux États-Unis, les vols entre États sont hors de prix. » Pourtant, Greg tient à souligner l’efficacité des liaisons ferroviaires dans le sud de la Californie : « Rien ne vaut un trajet en train de San Diego à Los Angeles, en longeant la côte pacifique. »

Greg pense que les mentalités américaines commencent à évoluer – mais lentement. Au niveau du gouvernement, il faut avouer que ce n’est pas très brillant… Trump a annoncé en juin 2017 que les États-Unis se retiraient de l’accord de Paris sur le climat et il devrait bientôt dévoiler son grand projet de loi sur les infrastructures. La presse américaine fustige d’ores et déjà ce projet pharaonique : sa faisabilité financière, d’une part, mais aussi ses impacts désastreux pour l’environnement. « Des routes, des routes, des routes ! – s’indigne Greg – voilà la seule réponse que le gouvernement envisage pour résoudre les problèmes de mobilité aux États-Unis. C’est une vision simpliste et dangereuse… »

Alors bien sûr, les associations se mobilisent à l’échelle nationale, à l’instar de The League of American Bicylists, mais elles font difficilement le poids face aux géants de l’industrie automobile américaine. Par ailleurs, coordonner des actions en faveur du vélo à l’échelle nationale est un véritable casse-tête aux États-Unis : non seulement d’un point de vue géographique – n’oublions pas que l’État du Texas, à lui seul, fait déjà la superficie de la France – mais aussi législatif, chaque État ayant sa propre réglementation cyclable.

Certains États commencent néanmoins à comprendre que construire plus de routes n’est pas la solution. Comme l’explique Greg, la Californie a récemment adopté la Senate bill 743 : les projets de transport ne seront désormais plus évalués en fonction de leur Level of Service (comprenez la capacité des infrastructures à accueillir plus de voitures) mais du Vehicle miles travel, c’est-à-dire le nombre de miles parcourus par les véhicules, qui doit être aussi limité que possible.

C’est finalement au niveau des villes que l’on constate les changements les plus notables, comme en témoigne le récent succès des systèmes de vélos partagés – avec New York, Chicago et Washington en tête de peloton. Qu’en est-il de San Diego ? Greg se montre sceptique : « C’est vrai que la ville dispose d’un système de vélos partagés. Je l’ai utilisé à plusieurs reprises, mais le système n’est pas encore optimal. Il y a eu pas mal de problèmes de cartes magnétiques qui ne fonctionnent pas et de vélos que les gens n’arrivent pas à débloquer des stations. » La presse locale confirme les impressions négatives de Greg : le service de vélos partagés ne suscite pas l’engouement chez les habitants de San Diego. La faute à qui ? Au manque d’infrastructures cyclables, à la topographie montagneuse de la ville ou encore au mauvais design du système qui concentre les stations le long des docks, en centre-ville, au détriment des banlieues. Qui sait… Côté vélo, San Diego a encore du chemin à parcourir. Cependant, la ville a récemment adopté son plan de déplacement qui inclut la construction de près de 15 km de pistes cyclables protégées dans le centre-ville. Un petit pas pour San Diego et un petit pas pour le vélo !

Sans aborder l’épineuse question de la mobilité dans les zones rurales, les États-Unis auraient tout intérêt à promouvoir la marche à pied et le vélo dans les villes. Question d’embouteillages, d’environnement, mais aussi de santé publique – dans un pays où le taux d’obésité est de loin le plus élevé au monde, ainsi que le diabète, les maladies cardio-vasculaires et d’autres affections liées au surpoids. Pour cela, il est nécessaire de repenser l’environnement urbain – l’emplacement des rues, des bâtiments etc. – car les Américains ne se mettront pas au vélo s’ils n’ont pas de commerce de qualité à proximité ou s’ils ne peuvent pas circuler en toute sécurité.

Une question d’espace, encore et toujours.

—– Thanks Greg for sharing your bicyclist’s experience with me !

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